(suite de Prélude)
Nous voilà donc, ma fille, 6 mois, et moi, pas tout à fait trente ans, dans notre nouvelle maison pour l’été.
À même l’entrée, on y respire déjà le paillis et la terre. C’est frais, apaisant. D’emblée, le calme qui m’entoure me saisit. Je dépose mon bébé sur le tapis de la véranda et m’assois quelques secondes dans un des hamacs du coin détente. Ma fille m’offre un regard ébahi, serein. Elle doit certainement ressentir qu’enfin une douce quiétude traverse sa mère.
Cette jolie fermette est la propriété d’une artiste talentueuse qui n’a pas froid aux yeux. Dès notre première rencontre, elle m’a plu. En échange de quelques heures de travail, elle nous hébergera Roukie et moi pour l’été. Ainsi, elle accueille chaque été des volontaires d’un peu partout à travers le monde qui voyagent et qui sont hébergés et nourris en échange de quelques heures de travail. Mon entente avec elle est évidemment adaptée à la réalité du bébé… Plus coloc aidante que travailleuse.
Sa jolie maison bleue est placardée d’images des années 50, décoré de lampes et de tables en céramique créées de ses mains, de divans des années 70. À notre arrivée, elle n’y est pas. Elle est partie en ville, porter le fruit de sa récolte, une trentaine de paniers de légumes fraichement récoltés du matin.
L’été se passera donc au rythme du travail de la terre, de Hank Snow et Patsy Cline. Je réalise que j’octroie ainsi à ma fille un premier été qui sera ponctué de purées de légumes semés ou récoltés de mes mains, d’air campagnard, de rencontres, d’autres.
C’est absolument parfait.
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Notre hôte a voyagé. Dernier périple, ce Mexique que j’adore. Roukie est en terrain connu, ce fût son premier gros voyage lorsqu’elle avait sept semaines. Néanmoins, qu’elle n’est pas ma surprise en découvrant notre chambre rose bonbon emplie de figures et d’icônes saintes. Elle se surnomme « La chapelle ». C’est tout dire.
Et tout à fait adéquat pour cette chambre mansardée. (Tout le long de mon séjour, notre chambre fera fureur auprès des volontaires qui viendront la photographier sourire aux lèvres…)
Je rigole en moi-même, appréciant l’originalité de la créativité de mon hôte et, satisfaite, salue la Guadaloupe au passage.
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Quelques minutes plus tard, savourant un silence presque absolu si ce n’est que du sifflement du vent au travers de la grange, je parcours tranquillement le potager. La courgerie prend déjà énormément d’ampleur en ce début d’été. Les allées sont minutieusement pensées pour nous permettre de bien circuler. Les petites pousses de betteraves, poireaux, carottes, arugula, laitues variées, radis, me font l’effet d’un coup de foudre. En soi, cet endroit est un monde à lui seul ! Rapidement, je comprends qu’il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour découvrir tout un univers à apprivoiser. La magie du voyage c’est peut-être ça, d’être accessible sous la forme qui nous convient le mieux lors d’un moment en particulier. De se relever parfois même dans l’infiniment près, l’infiniment petit.
Je dépose Roukie à l’ombre d’un arbre songeant à quel fabuleux voyage sera amenée à réaliser chacune des semences que mes mains mettront en terre.
Quelques jours ont passé. Déjà, je réalise l’ampleur d’être ainsi seule face à toutes ses tâches avec bébé. Au terme de journées à jongler avec la poulette, entre l’habillage, les biberons, la préparation des céréales et des purées, les changements de couche, un brin de clownerie, essuyage de régurgis, les activités propres au jardin telles que le désherbage, le réensemencement, le repiquage, la taille, l’arrosage, et les activités quotidiennes, préparation des repas, le bain, quelques notes, le lavage et le séchage au grand air, etc., me voilà déjà complètement éreintée ! Et travailler tout en m’occupant de Roukie nécessite toute une logistique.
Pourtant, cette fatigue est si bonne ! C’est une fatigue du corps, non de l’esprit, qui agit comme un baume sur mon cœur rabougri.
La terre nous confronte au présent. Indéniablement. Difficile d’attendre et de procrastiner. On doit absolument suivre le rythme qu’elle nous impose. Je pense à tous ces livres que j’ai dévorés sur le moment présent, l’art de lâcher prise, de mordre dans l’instant, laisser le ressentiment et les rancunes derrière soi, le bonheur, l’apprivoisement de la solitude existentielle, l’illusion de l’ego, la tension entre le désir et la peur … blablabla. Tolle, Krisnamurti, Gibran, Lao Tzu, je les ai tous lus. Tous.
Finalement, il n’y a rien de tel que jouer dans la terre pour goûter au présent.
Chaque jour, dans les gestes quotidiens, répétitifs, réguliers, je médite.
Surtout, j’apprends.
J’ai plusieurs années d’études universitaires derrière moi. Curieuse de nature, j’ai dévorée des centaines de livres, je n’ai plus peur de le dire. Et pourtant, dans ce geste répétitif et si régulier, il me semble apprendre comme jamais. J’apprends. À même l’apprivoisement de cette maternité et de cet être qui tranquillement grandi et à qui je devrai transmettre un peu de mon infime et petit savoir à mon tour, j’apprends.
Apprendre toutes ces choses qu’on ne trouvent ni dans les livres, ni ailleurs.
Se mettre à l’écoute de ce passage de la vie, si éphémère et fragile, qui nous traverse furtivement et qu’on ne peut retenir…
Mais, tes photos et tes mots sont tellement beaux, je suis vraiment contente de te découvrir.
Je reconnais la fatigue et la satisfaction après avoir travaillé au jardin, c’est méditatif, physique et contemplatif à la fois.
Merci pour ce beau texte.
C’est à moi de te remercier pour ton beau commentaire qui me donne l’envie de continuer ! Ça me donne envie de sortir de ma coquille peu à peu ;
Affronter ma peur que mes histoires persos risquent de gaver les autres… Alors que finalement, il semble que c’est toujours plus universel qu’on le crois et qu’il est possible de se reconnaître.
Merci sincèrement.
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Salut!
c,est anick bouchard qui m,a parlé de toi et ton blog.
c est vraiment chouette! je viens de passer plus d’une heure à le feuilleter.
j’aime bcp ce billet ci.
je m’Y retrouve bcp. c est vrai qu’on a beau lire surle sujet de vivre ds le présent, avoir ses mains ds la terre est LA facon d’y arriver.
un proverbe chinois dit: si vous voulez être heureux, faites-vous jardinier!
pas facile toutefois de combiner tout cela avec une petite de 6 mois.
tu as toute mon admiration.
au plaisir de se rencontrer bientôt peut être au lancement du livre d’anick ou à un autre moment.
bien à toi,
joanna
Quel commentaire qui me fait plaisir et me touche droit au coeur !!!
J’étais passé sur ton blog l’année dernière et voilà qu’en y retournant j’y retrouve ton dernier billet et ce MAGNIFIQUE poème de Kipling que j’adore !!
Ce sera un grand plaisir de te croiser et discuter avec toi ! J’ai des tonnes de questions sur l’Asie (quoique tes billets pullulent d’informations justes et pertinentes 😉 ) si tu as envie de t’y replonger et les rencontres de voyageuses qui conjuguent maternité et vie de femme me sont précieuses !
Au plaisir !
Ce proverbe est si juste ! Merci 😉
au plaisir de se rencontrer en effet, tu peux m’écrire en message perso si tu as des dispos particulières.
bien à toi,
joanna
Je vous aime toutes les deux 🙂
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