
Mythique route 117. Seul lien terrestre direct entre le sud du Québec et l’Abitibi-Témiscamingue.
Quelques jours avant mon départ pour l’Abitibi-Témiscamingue, Desjardins et Phillipe B jouaient toujours en boucle chez moi. Pour Richard Desjardins, ça peut paraître quelque peu cliché, du moins pour les Québécois. N’empêche, l’amoureuse de poésie et de mots renouait avec bonheur avec cette voix rocailleuse ; depuis Abbittibbi jusqu’à Kanasutha en passant par Boom Boom et les Derniers Humains jusqu’à l’Existoire, les albums du poète témiscabitibien ont longuement côtoyé ceux d’autres grands paroliers qui ont réchauffé ma demeure. Vous n’avez pas idée combien de fois j’ai chantonné l’immortelle les Yankees avec des amis auprès d’un feu et d’une guitare ; que je me suis époumonée sur Dans ses yeux en faisant mon ménage (et oui, chacun ses trips…) ; où je me suis évertuée à transposer du piano à la guitare les accords de la magnifique Engeolière. Je sais, l’Abitibi-Témiscamingue ne se résume pas à Richard Desjardins… j’en reviens d’autant plus avec la conviction! (Il n’y est d’ailleurs pas partout toujours apprécié…)N’en demeure, il a toujours été le premier référent qui m’est venu à l’esprit lorsqu’on souligne cette région du Québec, un peu comme on s’évoque Brel lorsqu’on parle de Belgique. Ainsi donc, à l’instar de plusieurs, sa poésie humaine et engagée fût ma première approche de l’Abitibi. Une fabuleuse porte d’entrée. Devant laquelle il ne faut surtout pas hésiter à aller au-delà…
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Donc, un premier apprivoisement qui s’était réalisé sous un angle artistique et engagé. Hormis tout ça, l’immense cri du cœur pour la forêt qu’est l’Erreur boréale, quelques poèmes d’une autre Desjardins, pas Richard mais plutôt sa sœur Louise, le fait que ce soit la patrie de Raôul Duguay et de Diane Tell, qui ont grandi à Val d’Or, le dur et essentiel film le Peuple invisible, la présence des Festivals des Guitares du Monde, de Musique Émergeante, auquel je souhaite assister depuis des années, et d’un autre consacré au cinéma international, j’ai dû aussi me rendre à l’évidence : j’en connaissais bien peu quant à cette région.
J’ai donc pris une carte avant mon départ et pris le temps de bien situer les unes des autres villes que sont Val d’Or, Rouyn-Noranda, Amos, La Sarre et Senneterre. Un brin honteuse d’en savoir si peu sur mon patrimoine, de m’avouer que j’avais du mal à les localiser l’une par rapport aux autres.
Puis, je me suis rappelée que le Québec était bien vaste et que j’avais encore plusieurs années pour continuer d’aller à sa rencontre.
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Je m’étais donc toujours imaginée cette région de par ses lacs et ses rivières et par son filon artistique. Dans mes rêveries, j’avais délaissé la réalité des mines, des mouches et de son industrie forestière… Il y a là tout un stéréotype, à la fois une réalité qui ne peut être écartée mais qui frôle aussi le cliché, que l’on perpétue peut-être à mauvais escient à défaut de bien connaître. La présence de la Fonderie Horne, sur l’ancienne mine du même nom près du lac Osisko qui borde le centre-ville de Rouyn-Noranda, surprend, certes, lorsqu’au détour d’une rue on se trouve nez-à-nez devant ses deux longues et effilées cheminées. Le développement de ce territoire c’est avec évidence effectué avec l’exploitation des gisements d’or et de cuivre de la grande Faille de Cadillac. Impossible de l’oublier, et ce jusqu’au nom que portent fièrement les microbrasseries artisanales ou les chocolateries de la région. On ne peut donc dénier cette réalité des miniers qui courageusement descendaient, et descendent toujours par endroit, extraire les entrailles de la terre. Un univers qui lorsqu’il nous est relaté dans sa dureté et sa réalité, il faut absolument commencer par une visite de la maison Dumulon pour se contextualiser, ne peut qu’impressionner et fasciner… Depuis trois jours, le mot qui me vient constamment à l’esprit lorsque je tente d’appréhender ce qu’a laissé en moi cette région est de fait le mot étonnement. Après l’émerveillement et l’admiration, je ne peux qu’admettre que j’en suis revenue fort étonnée.
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Trois journées à m’y tremper les pieds. Et au terme de ces trois petites journées bien remplies, j’avais rapidement réalisé mon erreur, sinon mon immense bévue, de ne pas avoir investigué davantage et d’avoir associé si longuement dans mon esprit la région de Rouyn-Noranda à un lever de soleil et à la strophe d’une chanson…
Rapidement, j’ai dû revoir quelques uns des jugements hâtifs que je portais malgré moi. D’abord, j’y ai excessivement bien mangé ! Tant à La Muse Gueule, bistro sympathique où les plats sont frais et colorés ( grande soeur du café-bar l’Abstracto où ça sent à souhait le café fraichement torréfié) qu’à la fine cuisine de la Rose des Vents,
où j’ai découvert une pléthore de produits locaux du Témiscamingue dont je ne connaissais l’existence, qu’au convivial Cachottier avec ses très bons et originaux tapas ! (N’empêche, le doré froid sur des craquelins avec fromage à la crème, poisson pêché par l’amoureux de mon hôtesse à l’Oasis du Bonheur, restera un gros coup de coeur… on aime ça les mets issus du terroir apprêtés à la bonne franquette !!) J’ai aussi cherché les mouches noires et je ne les ai pas vu… Non pas qu’elles soient un mythe, mais on oublie aisément que la température, les vents et les saisons influent sur leur présence…
« Rouyn-Noranda c’est la culture en plein nature » avais-je lui avec un certain regard sceptique dans le cahier promotionnel de l’Abitibi-Témiscamingue. Ma méfiance s’est rapidement dissipée: à maints égards, le mariage entre culture et nature est indéniable.
Au-delà des nombreux festivals, la ville même foisonne d’une richesse culturelle et naturelle qui ne cesse de surprendre. Il n’y a qu’à penser au 7,8 km de piste cyclable longeant le lac Osisko qui traverse longuement la forêt ou au verdoyant et fleurissant jardin botanique À Fleur d’Eau, havre de paix au coeur du centre-ville. Difficile aussi de ne pas s’étonner d’y croiser une église orthodoxe russe et une autre ukrainienne dans cette ville qui n’est pas encore centenaire. On a tendance à oublier comment au début du précédent siècle, la ville de Rouyn-Noranda était la seconde ville la plus cosmopolite au Québec après Montréal. Ce sont surtout les « Fros », des étrangers de l’Europe de l’Est, qui descendaient faire ce travail dans des conditions terribles.
J’ai donc pu aussi entrevoir la région dans le filon culturel que je présentais. Sinon, davantage. Un peuple ainsi reculé qui s’est fait autant bâtisseur ne se doit-il pas d’être nécessairement son corollaire, créatif ?

Stéphanie Rouillard de l’Oasis du Bonheur devant sa yourte authentique mongolienne. L’endroit compte aussi un chalet pouvant accueillir 6 personnes et un original Tipi avec une porte 😉
J’y ai rencontré des artistes, oui. Mais beaucoup plus que cela.
Beaucoup d’âmes.
D’abord chez Stéphanie Rouillard, passionnée, amante de la nature, énergique travailleuse et attentionné hôtesse de l’Oasis du Bonheur, qui m’a fait rire aux larmes et qui, de par son amour pour sa pinède et la culture autochtone ainsi que son courage de braver l’opinion d’autrui, m’a touchée et séduite. Un mode de vie qu’elle bâtit de ses mains et qu’elle tente de maintenir en équilibre sur son centre de villégiature sis sur un Esker. Dans les sentiers de sa pinède et aux abords d’un lac d’eau de source, elle nous invite à décrocher.
Des artistes. Des passionnés. Des tripeux. Des raconteurs de talent. Il ne faut pas plus de 15 minutes pour s’entretenir avec Alexandre Castonguay, artiste bouillonnant et intense, créateur de l’éclatée pièce, festin déambulation et interactif qu’est Ma Noranda pour s’imaginer l’original et l’improbable survenir au coin d’une ruelle.
Un saut au Petit Théâtre suffit d’ailleurs pour palper le pouls artistique du quartier culturel qu’est le Vieux-Noranda. La directrice nous assure que les portes y sont continuellement ouvertes : pour s’arrêter jouer quelques notes sur le piano, refaire le monde, relaxer ou simplement tester une idée créative, une mise en scène.
Laisser circuler les idées.
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Alors que la semaine dernière j’écoutais attristé Le peuple invisible qui relate comment les Algonquins ont dû se retirés vers le Parc de la Vérendrye, je suis arrivée au coeur même de la préparation de l’exposition Dialogue II au Centre d’exposition de la ville. Quelques minutes à échanger avec les commissaires de cette exposition multidisciplinaire m’ont permis d’entrevoir toute la sincérité dans ce désir d’aller à la rencontre des peuples autochtones. Par le biais d’oeuvres d’art communes, artistes allochtones et autochtones tentent de mener à une meilleure compréhension de l’histoire et des traditions des Premières Nations.
Aux raconteurs de talent s’ajoutaient donc des artistes allumés, engagés et soucieux de réinstaurer une communication respectueuse et consciencieuse qui tend à rétablir un fragile lien brisé. Ce rapprochement culturel par l’art et cette tentative de dialogue, qui se doit de se faire lente et s’inscrire dans la durée, m’ont beaucoup touchée.
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Dans le majestueux Parc Aiguebelle, j’ai rencontré l’Abitibi , celle que je rêvais, silencieuse, bleutée et verdoyante avec ses lacs et ses rivières qui n’en finissent plus de couler. Là où le nom Abbittibbi prend tout son sens … Le terme algonquin signifiant « là où les eaux se séparent », la région étant assise et traversée par une ligne de partage des eaux. Environ un kilomètre de terre qui sépare le magnifique et paisible lac Sault, sur lequel j’ai eu le bonheur de pagayer, et le lac Lac Haie constitue cette ligne. Le lac Sault se déverse donc au nord, de même que nombreux cours d’eau se jetant par la rivière Harricana, dans la Baie d’Hudson, alors que le lac La Haie et la rivière Kinojévis filent au sud vers la rivière des Outaouais. En somme, c’est là que se sépare le bassin du Saint-Laurent de celui de la Baie-James.
À même les rochers, j’ai pu observer le passage des glaciers à l’aide de ma guide Émilie et de son acolyte Sabrina. Contempler une marmite de géant, une énorme cavité creusée lentement par l’eau des glaciers. Admirer les tableaux lumineux qu’offraient le mariage entre le vert foncé des épinettes et celui plus clair des jeunes feuilles printanières des bouleaux. Randonner autour du splendide lac Lac Haie, encaissé entre les immenses falaises résultant d’une faille géologique datant de l’ère glaciaire. Les Témiscabitibiens mentionnent d’ailleurs régulièrement les 22 000 qui parsèment la région. Ils en sont fiers.
Avec raison.
Difficile de ne pas faire taire mon côté fille des bois qui a illico ressurgi dans ce magnifique et paisible parc que l’on se doit d’apprivoiser. Goûter aux pousses d’épinette tout en discutant de gelée, contempler des sabots de la vierge naissants, pagayer pour aller observer des plantes carnivores, manger des fleurs au hasard des sentiers… Admirer du haut des collines Abijévis la forêt boréale à n’en plus finir. Un véritable bonheur !
Des passionnées de nature certes, des bâtisseurs et des artistes, mais aussi un peuple très accueillant et fier.
Sincèrement, j’ai trouvé la région étonnante. J’en suis revenue avec l’envie naissante de découvrir le Témiscamingue et ses terres agricoles, de palper plus longuement le pouls culturel de Rouyn-Noranda et de retourner me perdre dans les endroits plus reculés et sauvages et de les apprivoiser.
J’ai pensé à la Complainte du Scaphandrier de Philippe B qui parle de nous tous une fois blessé, cette peur « de remonter trop vite des profondeurs » qui nous tenaille et se tiraille avec ce désir de réapprivoiser le bonheur. Au-delà de cette peur de tomber en amour, avec une personne ou une région, j’y ai vu plein d’analogies. De battants qui ont bravé et vécu dans des conditions difficiles afin de se donner une deuxième chance ; des gens qui remontent des profondeur des mines, des lacs profonds, des forêts denses et lointaines et des terres plus reculées. Et qui ont su créer un bonheur unique qui ne tend qu’à être partagé…
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Quelques adresses coups de coeur :
– Oasis du Bonheur et sa charmante propriétaire. Villégiature en milieu naturel à Destor, une vingtaine de minutes du centre-ville de Rouyn-Noranda
– La chocolaterie Bistro Le Gisement et ses lingots « Or en barre » à déguster ou faire fondre en un épais chocolat chaud. Essayez ceux au chocolat blanc à la cardamome !!!
– L’ancien magasin général de Jos Dumulon. Un incontournable à visiter dès l’arrivée ! Pour avoir guidé des dizaines de groupe dans ce genre d’endroit, je dois admettre que je ne suis pas très friande de ces reconstitutions… et j’en ai vues ! La visite guidée de la Maison Dumulon est non seulement hyper instructive quant au travail des miniers, leur réalité quotidienne ainsi que les nombreux obstacles et difficultés auxquels ils étaient constamment confrontés, elle nous plonge réellement, et avec un adorable humour, au coeur des années 20 et 30. Une contextualisation vraiment passionnante !
– La Stout à l’avoine de la brasserie artisanale Le Trèfle Noir ! (C’est possible de se faire livrer une caisse ?)
– Vélo Cité : voilà une belle initiative ! Aux abords de la maison DuMulon vous pouvez louer gratuitement vélos, planches ou patins à glace, et ce tout autant pour les locaux et les touristes ! J’ai adoré ma promenade en vélo autour du lac !
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D’ici une prochaine escapade en contrée témiscabitibienne, je pourrais prolonger le plaisir au travers des magnifiques images du photographe Mathieu Dupuis. Je vous invite à en faire tout autant. Le livre Abitibi-Témiscamingue, Sur la Route avec Mathieu Dupuis est non seulement une véritable invitation à la rêverie mais aussi un intime partage de sa vision personnelle de la région qui constitue une superbe introduction. À l’instar de celui-ci, vous aurez sans doute envie de monter à bord de votre voiture et de traverser la 117 pour ensuite sillonner les routes et sentiers entre le 46e et 49e parallèle.
Merci à Tourisme Abitibi-Témiscamingue pour l’invitation à participer à votre opération charme. Merci particulier à Anne-Marie Belzisle et Réjean Lavoie de chez Tourisme AT ainsi qu’à Noémie Poirier de Tourisme Rouyn-Noranda. Clin d’oeil à Émilie et Sabrina avec qui j’ai adoré pagayer et randonner dans le magnifique Parc National d’Aiguebelle.
C’est normal que ton article me donne envie d’écrire un effet sonore du genre « bing, bang, wow! »? J’ai moi aussi adoré ma visite complètement différente mais assez contemplative également. Quelle belle region et bel article!
À bientôt!
Merci! On vous invite chaleureusement
C’est vrai que les gens du Nord comme on nous appelle sont accueillants. Née ici à Rouyn-Noranda et fière de ma région, les gens d’ici se sont bâti une vie agréable et intéressante. J ‘invite tous les gens à venir découvrir ce coin de pays fort sympathique. Du plaisir assuré !
Superbe article, sujet et écriture de qualité.
Quel bel article. Merci!
Merci d’avoir visité notre belle région!
Vous en avez faite une magnifique tournée!
Merci ! merci tout plein, « je suis l’Abitibi », c’est comme ça que je me sens. C’est ma terre, mon pays et vous me l’avez bien traduit!…France
J adore l Abitibi , j y suis né et y ai grandis , belle région sauvage , mais il manque à ton portrait le superbe Témiscamingue , avec son lac magnifique ,son calme , et ses forêts ! J t invite à te le faire visiter , le lac en premier , et ensuite ses principaux attrait , donc bienvenue chez nous !
Excellent reportage, d’une grande sensibilité ! À quand la visite des autres beaux coins de
l’Abitibi-Témiscamingue : Le Témis , l’Abitibi-Ouest et L’Abitibi-Est…? .vous y retrouverez aussi
la beauté, leurs charmes et …cet accueil caractéristique de ses habitants. Sous votre plume.
on l’apprécie davantage. Merci.
P.S. Si jamais, vous avez besoin d’un guide disponible et bénévole…je suis votre homme !
Oh merci ! Je compte parcourir une partie du Québec dans les prochains mois, qui sait si mon parcours ne va pas m’y emmener ! J’aimerais beaucoup découvrir le Témis et l’Abitibi-Ouest notamment 🙂 Je vous contacterai avec plaisir !
J’aime votre plume et votre entrain à décrire vos découvertes pour me donner le goût d’y être
Merci ! C’est fortement apprécié !