Un été à la campagne -3-

Lukas est un États-Unien différent des autres.  (En fait, je crois que nous aimons tous croire que nous rencontrons des États-Uniens différents des autres…)  Il répond aussi à un profil de la vieille école.  Chaque matin, je le trouve attablé avec son bol de thé et un livre.   On échange quelques paroles vides d’intérêt, on rigole, « Damn Cat ! Your coffee still boiling ! » , on renifle ensemble à cause du foin qui entre dans la maison et on entame une demi-conversation entre deux paragraphes de nos lectures, sur la littérature ou la spiritualité.   Et puis, on entend les gazouillements de Roukie qui s’éveille.  Quelques minutes plus tard, elle est là, rampant à nos côtés, alors que Lukas l’observe avec un soupçon d’admiration.

J’aime ces moments à ces côtés.  Moments entremêlés de respect et de silence ; c’est agréable lorsque notre bulle est capable de côtoyer aisément celle d’un autre.  Il baragouine le français et c’est sympa.  Lukas repart prochainement chercher le camion de ses grands-parents pour se taper un trip à la « On the Road ».  Une traversée complète des États-Unis d’est en ouest. Ça me plaît. Et son accent me rassure.  Il vient de l’Oregon.  Paraît qu’il s’y brasse d’excellentes bières là-bas.

J’aime ces woofers qui sont de passage.  Ils sont là seulement pour quelques jours ou quelques semaines et ils laissent parfois de tendres traces dans nos cœurs. Plutôt que continuer sur la route, notre agricultrice emmène ainsi un peu du voyage chez elle. Et, les rencontres viennent directement à elle.  J’adore.

*

Ce matin, Lukas prend quelques-unes de mes poches de thé, y ajoute de la menthe fraiche, une pincée de lavande.  Après avoir recouvert le tout d’eau, il va déposer le pot Masson au soleil.

Cet après-midi-là, au champ, je dégusterai mon premier Suntea.

Absolument délicieux, rafraichissant et gorgé de soleil.

Champ de soya, ferme

17h00.

Verre de blanc, hamac, moment de détente, de gazouillements d’oiseaux et d’écriture. Devant moi, du soya à perte de vue. Quelque chose me titille.  Je tente de saisir l’irrégularité.  Au loin, Luc et Cat désherbent l’allée de roquette et de basilic.  Il est 17h00, le soleil ne plombe plus de toute sa puissance au-dessus du jardin.  Il est courant de Lukas désherbedésherber à cette heure…

Verre de blanc, hamac, moment de détente, de gazouillements d’oiseaux et d’écriture.

Voilà l’irrégularité !

Trois jours que Roukie n’y est pas.  Un mélange de doux bonheur et de tristesse quant à son absence me traverse lorsque je pense à elle.  Et bien, peut-être apparaîtrais-je grossière, mais pour moi il me semble qu’il est possible d’oublier très rapidement que nous sommes des mamans … Le travail de la terre me nourrit l’âme, les mains et m’ancre dans la réalité.  C’est si bon.  Je retrouve avec satisfaction cette liberté qui m’était si chère… Je dois en profiter, cela sera bien éphémère. D’ici deux jours, je poserai à nouveau chaque geste afin de satisfaire les besoins de ma poulette. Non, être mère ce n’est pas se sacrifier. C’est peut-être bien mettre de l’avant d’autres besoins que les siens, mais sans les oblitérer.

Coucher de soleil

Ici l’aventure est bien différente à tout ce que je suis habituée.  Il n’y a pas de grizzli, ni de tortues géantes, ni de pèlerinage gitan.  J’ai soudain cette vision de moi dansant la nuit sur le parvis d’une église dans la Camargue. La première fois où je foulais l’Europe seule. J’aime ce côté bohème qui tranquillement me rattrape. Et réalise que l’aventure n’est pas seulement possible que dans l’intensité et l’excès…

*

Le tonnerre gronde au loin.

Nos humeurs battent au rythme du soleil et de la pluie.

L’orage se prépare.  Et nous, nous battons des mains.

Ce soir, congé d’arrosage !

*

Je commence à ressentir l’énergie qui s’amoindrit tranquillement.  Et je sens l’impatience qui se pointe le nez en guise d’avertissement.  J’en fais peut-être trop. Le pire je crois, c’est après la journée de travail avec bébé.  J’aimerais franchement par moment la déposer dans les bras de quelqu’un; souffler un peu ; aller marcher un peu seule. J’ai toujours eu un côté très solitaire.  Je dois maintenant apprendre à intégrer ma fille à cette solitude.

Roukie et MariaCat et les woofers essaient de me donner de petites pauses lorsqu’ils peuvent lui consacrer quelques minutes.  Néanmoins, le travail prévaut.  Et je suis une personne timide.  Je réalise que je vais devoir apprendre à demander.  Ouch.  Chose que je fais bien peu. Et apprendre à mettre mes besoins un peu plus de l’avant pour pouvoir ensuite répondre plus efficacement à ceux de ma fille.

Moi qui si souvent me suis oubliée en relation, je réalise d’autant plus comment cette propension est néfaste avec un enfant.  Les gens qui y voient du sacrifice, je n’y crois toujours pas.  Et je sais fermement que la plus belle chose que je peux offrir à mon enfant, c’est une personne qui tend le plus possible à son épanouissement.

*

La décision est difficile.  Mais Roukie se fait de plus en plus exigeante et me réclame. Je ne peux plus travailler la terre ainsi.  Elle sollicite davantage ma présence.  Mes purées de zucchini lui manqueront c’est certain.  Voilà sept semaines que nous sommes ici.  Et il reste toujours quelques semaines à cet été. Malgré la fatigue, il me semble être bien davantage en équilibre après avoir joué ainsi dans la terre. Avoir désherbé chacune de ces émotions négatives qui m’enlisaient…  J’emplis à nouveau la voiture.  J’ai vendu déjà beaucoup de trucs.  Mais il me reste tout de même quelques meubles et des cartons dans un locker à Montréal.  Et il ne me tarde aucunement de les retrouver.

J’observe ma fille qui semble déjà heureuse que je lui consacre tout mon temps.  Je ne sais trop où aller, mais je désire de lui faire découvrir une autre facette de moi.

Soudain, j’ai follement envie de mer…

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12 commentaires pour Un été à la campagne -3-

  1. Quelquepart dit :

    (…) Plutôt que continuer sur la route, notre agricultrice emmène ainsi un peu du voyage chez elle. Et, les rencontres viennent directement à elle.(…) C’est ça aussi la vie, des fois on voyage, des fois le voyage vient à nous, il faut savoir trouver la dose juste qui convient à nos besoins. Il faut savoir s’écouter, et trouver le bel équilibre entre recevoir et donner. J’aime bien le ton et le rythme de cette entrée, on a l’impression de siroter un suntea (faut que j’essaie ça), tout le temps qu’on la lit.

  2. Elle était où, Roukie, pendant ces trois jours?
    Je seconde: dans un tourbillon, loin du quotidien, il est facile d’oublier son «statut» de maman. Puis, il suffit d’entendre un éclat de rire enfantin ou de humer sa fleur préférée pour que soudainement, l’absence se fasse sentir… Le premier mot qui me vient toujours à l’esprit quand on me demande de définir la maternité est «déchirement». Ça peut sembler négatif, mais ça reflète plutôt bien la réalité (du moins, la mienne), je trouve. Et ça n’enlève rien aux moments merveilleux!

  3. Mawoui dit :

    Elle était avec Cafecito … son papa. Où ? Je ne sais toujours trop 🙂 Ça m’a fait une petite pause de trois quatre jours bien appréciée dans cet été.

    Tu as tellement trouvé le mot !!!
    « Déchirement » !

    Honnêtement, cela me semble absolument juste. Indubitablement vrai.

  4. Mari Carmen dit :

    Bonjour, Mawoui, je voulais vous dire que je suis heureuse d’avoir trouvé votre blogue. Je vais vous lire avec beaucoup d’attention.

    Merci.

    À bientôt!

    • Mawoui dit :

      Gracias Mari,

      ¡ Me gusta descubrir tu vida y tu sendero también !
      ¡ Tu foto de El Albaicín en Grenada es una maravilla !

      Quisiera visitar Andalucia pronto …

      Cuídate

  5. Encore une fois, un texte qui laisse place à la réflexion, à la contemplation… Ton propos sur la maternité vient me chercher du fait que je l’ai vécu comme toi, entrecoupée de période d’absence de mon fils qui, autant elles étaient difficiles ces absences, autant elles me faisaient du bien, et je le dis sans honte. Même en couple, une maman a besoin de repos mais c’est toujours mal vu, ce n’est pas politiquement correct de le dire haut et fort…

    Tu quittes la campagne, pour où, pour combien de temps, pour quelle mer, quel océan? Où ta plume et ta poésie se poseront-elles?

    • Mawoui dit :

      En fait, je l’ai seulement mentionné dans Prélude, mais il s’agit de mon été dernier … J’ai quitté pour finalement faire le tour de la péninsule gaspésienne, Un petit tour de Gaspésie, trois semaines de camping improvisées avec bébé ! Ce fût vraiment extraordinaire. Je repars la semaine prochaine à la campagne puis vers Métis-sur-Mer (C’est superbe !) pour finalement me lancer dans un autre projet avec ma fille d’ici quelques semaines. J’ai beaucoup voyagé ce printemps sans elle, surtout les grandes villes que je guidais, New York, Washington, Toronto, Philadelphie, et retrouver la mer et l’air salin avec elle me manque. Beaucoup ! Août-Septembre, c’est l’Amérique Centrale qui nous attend 🙂 !

  6. Ahhh, la Gaspésie… Yves est gaspésien donc…!
    Waouh, départ en août?! C’est pour bientôt alors! J’ai hâte de connaître la vie de pitchounette en Amérique du Sud et puis, avec un bébé, tu vas te faire beaucoup d’amis là-bas, ils adorent les enfants! Tu seras au paradis!
    à +!

  7. Grégory dit :

    « On échange quelques paroles vides d’intérêt, on rigole… » C’est très joliment dit Mawoui.
    Je pense que tu participes indirectement à ma réconciliation avec la lecture!

    J’ai envie de te dire que la vie, c’est une expérience, alors expérimente là sans modération.
    Tu grandiras ainsi que ton âme. Ainsi, je pourrai la voir au delà de l’atlantique.

    Amicalement 😉

  8. Mawoui dit :

    Si ça te réconcilie avec la lecture, tu fais une heureuse !!!

    Oh oui, les expériences ! Je suis si avide d’expériences !!

    C’est beau ta fibre de poète ! 🙂

  9. Ping : Entre terre et mer | Como la Espuma

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