Se faire sculpter par la mer et le vent…

Je suis une grande amoureuse. Amoureuse des gens, des mots, de rochers comme de bouts de cailloux. De vastitude, d’espace à m’y perdre. D’air salin, avec évidence.

Malgré tout, malgré cette propension tendre et romantique qui me fait, cette fille peut-être un brin naïve et écervelée de trop aimer sans avoir pris le temps de connaître, aime en général sans détour, sans condition, au même titre que je réponds à mes envies intensément. Un cœur vaste, immense, je le dis en toute humilité à force d’avoir pardonné, tout et évidemment trop, qui apprend depuis qu’il trébuche à poser tranquillement ses limites. Poser ses pas autrement. Mais surtout, n’essayez pas de doser ou d’enlever la propension « intensité » dans une personne passionnée, voilà bien le moyen le plus efficace pour qu’elle s’éteigne à petit feu.

un grain de folieMalgré cela, j’y ai toujours cru et j’y crois toujours, les élans du cœur ne démentent pas. On choisit d’aimer, de construire une relation ou non, d’aller puiser dans la rencontre l’équilibre, du moins on l’espère, qui se fera le plus en accord à nos valeurs, intrinsèques les valeurs, et tendra vers un tout harmonieux. Au-delà de tout compromis, de cette dichotomie sourde parfois entre le cœur et l’esprit, il y aura toujours ces moments où l’on aime sans détour, où il ne peut en être autrement. Je tergiverse simplement pour constater que ces élans du cœur ne se contrôlent pas. Et que bien que profondément amoureuse et rêveuse, j’ai toutefois rarement éprouvé un coup de foudre. Encore moins pour une destination.

Vous savez, lorsque s’applique l’expression « tomber en amour », littéralement? Voilà sans doute la sensation de vertige la plus proche que j’ai éprouvée quelques minutes après être descendue de l’avion à Havre-aux-maisons, il y a maintenant cinq années.

***

À mon grand bonheur, j’ai renoué brièvement la semaine dernière avec ce petit archipel de 12 îles sises au beau milieu du golfe Saint-Laurent. Un archipel qui m’avait séduit presque instantanément ; qui se profile des airs comme un hameçon fragile et qui l’est d’autant plus de par les vents, l’eau et le manque de glaciation l’hiver le long de ses côtes qui ne tend plus à protéger ses flancs. Depuis plusieurs années, les magnifiques falaises de grès rouge aux tonalités d’Écosse et d’Irlande s’y effritent de manière alarmante à cause de l’érosion. Ce sont elles qui créer en grande partie le sable et ces dunes reliant les îles entre elles; le quartz étant lavé par l’eau de mer, il perd de sa propriété d’oxyde de fer pour revenir s’échoir en cordon sablonneux aux accents blonds.  Ainsi, tandis que les falaises s’effritent et les îles tendent à diminuer en superficie, les dunes blondes nouvellement créées protègent entre autres la nappe d’eau douce d’une contamination par l’eau salée.

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Ces petites îles, qui ont surgi de l’eau par une poussée des dômes de sel sur lesquelles elles reposent, s’affichent avec des noms poétiques et évocateurs du relief, de la flore et de la faune environnante : l’Étang du Nord, Pointe aux Loups (le loup-marin, on s’entend), Cap aux meules, le Rocher aux Oiseaux, la Grosse Île, l’Île d’Entrée pour n’en nommer que quelques unes, comptent tout autant de dérivés du dialecte madelinot et se partagent 202 kilomètres carré qui tendent continuellement à rétrécir.

DSC_1392L’archipel évoque avec évidence ce charme particulier de la vie d’insulaires véhiculée par des films tels que La Grande Séduction. Avec ses maisons colorées qui servaient de repères aux pêcheurs et qui ponctuent ça et là les magnifiques paysages, les îles parlent nécessairement à l’artiste en soi ; pas étonnant qu’elles foisonnent de créateurs qui transforment les roches, herbes et bouts de bois pour en faire des objets d’art. Cinq années où je rêve depuis en secret de m’y installer un jour l’espace d’une année ou deux  question d’amasser à mon tour cailloux et bouts de bois de mer le long de la grève. Sentir ma chevelure s’emmêler longuement dans le vent madelinien et camper quelques jours dans les dunes dorées sans ne croiser personne; y observer la cadence de l’ammophile, cette plante si essentielle à l’île dont les rhizomes emprisonnent le sable et préservent ainsi les dunes, danser durant une journée entière. Me contraindre l’hiver venu à jouer à l’artiste chez moi, une sorte d’exil créatif pour peindre, bricoler, rafistoler, évidemment écrire.

« Je ne les comprends pas ces gens qui ne cessent de nous demander qu’est-ce qu’on peut bien faire ici l’hiver ! Voyons, je ne trouve jamais le temps de m’ennuyer ! On se fait des soupers entre amis, se raconte des histoires, je bricole sur la maison, etc.», s’exclame l’excellent et attachant guide Léon Poirier. Je ne peux qu’abonder et envier ces hivers blancs et loin de la grisaille montréalaise. Ils y sont d’ailleurs très doux, les Îles étant l’endroit au Québec ayant le moins de journées de gel dans une année…

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Effectivement, il faut aller aux Îles pour en saisir le charme indéniable me confirmera d’un commun accord le groupe que je guide et j’accompagne … DSC_1385Ce n’est qu’en s’y rendant qu’on comprend réellement en quoi ses paysages de cartes postales séduisent. Il faut y aller aussi pour déguster le hareng fumé du Fumoir d’Antan, le seul qui subsiste des 18 fumoirs qui se trouvaient auparavant sur l’île. Pour siroter une excellente Terre d’écume, ma préférée, et les autres très bonnes bières de la Microbrasserie À l’abri de la Tempête. Pour l’excellent café du Moussonneur, dont les grains de café vert sont d’abord trempés dans l’eau de mer, puis séchés au soleil avant d’être torréfiés.  Pour déguster un repas convivial à la terrasse des Pas Perdus à Cap-aux-Meules en regardant les voitures défilées sur la route Principale alors qu’elles viennent tout juste de descendre du dernier traversier. Ou pour y palper la vie artistique autrement, dans cette salle intime où j’ai eu la chance d’assister à un des meilleurs spectacles de Patrick Watson à vie, assurément. Pour rencontrer ces insulaires créatifs le long de la Grave, s’y procurer de l’huile de Calendule à l’Anse aux Herbes, aller polir un bout de caillou à l’atelier du Limaçon ou laisser les artisans du monde venir à soi à la boutique du Globe-Trotter. Pour observer un unique et splendide coucher de soleil à Belle Anse. Tirer une cage à homard avec Excursion en mer. Nager avec les phoques près de l’île du Corps Mort avec l’équipe de l’Istorlet, quel beau moment !  Ou simplement fraterniser avec ses habitants charmants et si accueillants au Café de la Grave, auprès de la propriétaire et de son accordéon et d’un client s’improvisant pianiste.

Mais surtout, il faut aller aux Îles pour prendre le temps et l’observer. Tenir au creux de la paume de sa main une poignée de sable et regarder doucement les grains s’écouler.  Longer le littoral, lentement, puis se faire à notre tour falaise de grès rouge. Et, à l’instar de celle-ci, saisir et vivre quelques instants cette évidente allégorie des vagues et du vent qui ne cessent de façonner à leur guise ce fragile environnement. Pour finalement se ramener un moment à notre petitesse et notre essence : sentir fortement que même si l’on tente vainement de les dominer, nous aussi on se fait sculpter par la mer et le vent…

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Lectures d’Îles :

– Le livre d’Alexandre Chouinard, Un pied à terre en mer aux Îles de la Madeleine aux Éditions de la Morue verte. Des récits et chroniques imagées et colorées relatant, entre autre, l’acclimatation et le premier hiver d’un médecin de famille qui s’installe aux Îles avec sa copine. Pour mieux comprendre et savourer le quotidien entourant la pêche au homard, l’importance de la mine de sel, la parlure, etc., l’ouvrage foisonne d’anecdotes savoureuses. Adorable !

– La galerie-boutique et salon de thé Le Flâneur à l’Étang-du-Nord présente les poupées uniques et fortement expressives de l’artiste Arthure, Pierrette Molaison, qui est également propriétaire des Éditions du Flâneur. La maison d’éditions propose les « Carnets pour Flâner » qui mettent de l’avant différentes destinations au Québec. Celui sur les Îles-de-la-Madeleine est original et coloré, avec les aquarelles de Molaison, et les textes d’Hélène Chevrier relatent différentes anecdotes relatives à plusieurs lieux et attraits des Îles.

– Les Éditions Ulysse ont publié cette année une toute nouvelle édition de son guide sur les Îles. Écrit par Jean-Hugues Robert, le guide est bonifié des coups de coeur de Madelinots reconnus. C’est le seul guide de ce genre qui est entièrement consacré à cette destination.

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3 commentaires pour Se faire sculpter par la mer et le vent…

  1. Jennifer dit :

    Tellement hâte d’y mettre les pieds dans un peu plus qu’une semaine. Ce que tu nommes est sur ma liste de trucs à voir, mais comme tu dis, faut le voir pour le ressentir! Excellent billet, miss!

  2. Chanceuse Jennifer d’y aller sous peu ! Le billet donne très envie de s’y ancrer pour un bon moment…Merci pour la balade!

  3. Minh Anh dit :

    J’adore votre blog ! Bonne continuation

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