Le bruissement du sel

Les Îles ! On passe par tous les états d’âme quand on est insulaire et qu’on s’intéresse à l’insularité. Un jour on a l’impression d’être reine et maître d’un royaume bien protégé ; un autre jour ; le poids des responsabilités vous fait courber l’échine. L’insulaire oscille entre partir et rester là, entre le passé et l’avenir, entre la conservation et le développement, entre l’ici et l’ailleurs

 Hélène Chevrier, Îles-de-la-Madeleine

Je m’éveille après une courte nuit de sommeil. Un peu plus de cinq heures, je commence à en avoir l’habitude. Le corps endolori se manifeste toutefois, je sens l’effort des randonnées et des excursions des dernières semaines qui se manifestent. La fatigue des derniers mois qui s’accumule.

Je suis aux fabuleuses Îles-de-la-Madeleine, plus précisément dans une adorable chambre du Domaine du Vieux-Couvent, avec pour tout rendez-vous matinal un déjeuner pour les huit heures. Du temps. Je pourrais me rendormir, enfin rattraper les heures manquantes de sommeil et cumuler l’énergie.

Comme je m’y attendais, je n’y arriverai pas.

*

Elle me fait ça, chaque fois, que ce soit dernièrement à travers le Québec Maritime, en Floride, en Virginie, en République Dominicaine, à Cuba, en Bretagne, sur les côtes méditerranéennes, au Mexique, au Costa Rica, peu importe…

C’est toujours plus fort.

Plus fort que la fatigue. Que le corps endolori.

Je ferme les yeux quelques secondes et les rouvre aussitôt. Je sais très bien que c’est inutile;  je n’y arriverai pas.

Je démissionne, puis me lève.

M’abandonne à ces matins de mer…


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Un peu partout, mes matins de mer se ressemblent, étant à mes yeux nécessairement plus ravigotants que toutes ces heures possibles à ne rien faire. Ils balaient : les tracas, les émotions trop vives, les blessures et les doutes ; laissant de la place pour le nouveau. Les matins d’Îles cependant diffèrent. Peut-être parce qu’ils semblent davantage hors du temps ou qu’ils semblent le prolongement des soirées où le ciel se voile d’une teinte rosée. Je ne sais trop. Peut-être parce qu’à l’instar de ces littoraux qui limitent le territoire, je me fais alors plus consciente de celles qui me sont propres. Que l’envie frénétique d’en profiter pleinement se manifeste d’autant plus. Et que j’ai envie de me jouer du temps et de la fatigue. Prendre le temps entre mes mains et l’égrainer doucement…

Peut-être aussi qu’à l’instar des départs et des arrivées qui sont bien différents pour les insulaires, il n’y a qu’à voir comment l’arrivée et le départ des traversiers modulent le quotidien, les levers et couchers de soleil le sont tout autant.

Ce matin-là, j’irai donc marcher sur la petite plage en contre-bas du Domaine du Vieux Couvent. Tôt, très tôt. Jusqu’à ce que j’entende et j’aperçoive justement le traversier du CTMA quitter Cap-aux-Meules avec à son bord ses travailleurs, ses Madelinots et sa horde de touristes estivaux.

*

Certes, les Îles-de-la-Madeleine séduisent de par leur beauté saisissante … Et ses habitants tout autant avec leur dialecte singulier qui s’apparente à l’acadien, leur relation particulière aux éléments qui les entourent et à la mer. Mais ce matin-là, je ne peux m’empêcher de penser à ces insulaires qui le sont devenus par choix, ces « étranges » rencontrés au cours des derniers jours et des dernières années et qui teintent aussi la vie des Îles à leur façon. Mon ex belle-soeur, voyageuse, rimouskoise et tombée en amour littéralement avec les Îles il y a plusieurs années, autour desquelles elle a fait graviter sa vie personnelle et son défi d’entreprise, le Globe-Trotteur ; L’artiste peintre Takanori Serikawa, seul japonais des Îles, installé depuis 2004, accueillant chez lui Madelinots et touristes avec sa fine et délicate cuisine japonaise, amoureux tant de ses tons pastels que de son aspect plus agressif en hiver. Mylène, de la Salicorne, résidente depuis 5 ans, parfois elle aussi tiraillée par ses doutes de la vie insulaire. Tenaillée entre le désir de rester et de partir qui peut parfois la traverser lorsque l’hiver s’étire sans qu’on y envisage la fin. Ce sera la nature qui lui apportera ses réponses. Un renard, un héron croisé le long de la route et puis un nuage qui se profilera en forme d’hameçon.

Il évoquera nécessairement l’archipel; elle l’interprètera comme un signe.

Elles sont toujours là, à même la nature, les réponses…

*

Et puis, de toute façon, partir pour où ?

Quitte-t-on jamais les Îles ? Du moins, je suis convaincue qu’une fois qu’on les a foulées des pieds, on les porte ensuite continuellement avec soi. Il n’y a qu’à voir la lueur qui pétille dans le regard d’une personne lorsqu’on les évoque. Elles parlent au voyageur, à l’artiste, à l’amoureux de mer et de nature, à celui qui a soif de vent et de liberté… Au-delà de la beauté saisissante de l’archipel et de la singularité de chacune de ces îles, ce sont des milieux indéniablement fragiles, vulnérables que l’on se doit de protéger. Il n’y a qu’à penser à l’ammophile, cette plante qui s’enracine dans le sable et qui est plantée afin de préserver certaines dunes menacées par l’érosion. Ou aux importants quotas de pêche afin de préserver les eaux poissonneuses du Golfe dans lesquelles baignent les Îles ; la veille de mon arrivée aux Îles avait lieu la pêche au Flétan, la seule et unique journée de l’année où les Madelinots peuvent s’y adonner durant quelques heures, c’est tout dire. Peut-être bien parce qu’ils sont conscients des limites des Îles et de leurs ressources, que les insulaires doivent souvent plus que quiconque apprendre à trouver des solutions en respect et en regard de leur territoire.

Cette tension si propre au voyageur, aux prises avec son envie d’ici et d’ailleurs, l’insulaire semble la vivre plus que quiconque… En fait, l’insulaire m’apparait comme un éternel voyageur…

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Plus tard sur la Grave, je montrerai à l’artiste Martin Fournier du Limaçon un petit bout de caillou trouvé matinalement sur mon bout de plage dorée.  Un petit bout de caillou blanc immaculé. « C’est de la sélénite, un minéral dont on se sert davantage pour les sculptures. » Un minerai qui se créer lorsque l’eau de mer se trouve isolée et s’évapore et que les sels s’accumulent pour former quelque chose qui s’apparente à du gypse. Cela m’a rappelé que l’archipel reposait sur d’immenses dômes de sel ; dômes de sel exploités par les mines Seleine à Grosse Île.  C’est d’ailleurs ces immenses colonnes de sel qui ont propulsé les îles hors de l’eau. Le sel étant donc en quelque sorte l’invisible moteur géologique des Îles-de-la-Madeleine…

Mais les colonnes sont toujours là, sous la mer …

Cette fois-ci, plutôt qu’un bout de bois de grève, je repartirai avec dans mes valises mon petit morceau de sélénite et un sel aux accents marins acheté chez Gourmande de nature. À ma manière, et à l’instar de Mylène, j’en ferai mes réponses…

*

Évidemment il y a le vent;

la mer ;

et l’air salin aux Îles-de-la-Madeleine.

Mais il y a aussi ce qu’on ne voit ou ne ressent pas ;

le temps qui s’arrête et qui s’égraine au rythme lent du sable fin ;

Il y a ce qui est brut et qui se transforme… au même titre que l’eau salée lave le grès rouge des falaises tombé dans la mer; grès qui viendra ensuite s’étaler le long des berges en un magnifique sable blond.

Et puis, il y a l’invisible; ce qu’on ne voit pas, mais qui pourtant est.

Ce fil invisible qui rattache continuellement les insulaires voyageurs à leurs Îles;

Un peu comme ce qui murmure doucement là, caché sous la mer…

Que l’on peut peut-être entendre si l’on tend doucement l’oreille;

il a aussi,

le doux bruissement du sel…

 

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*Le bruissement du sel est le titre d’un ouvrage poétique de Serge Torri.

***

Quelques coups de coeur d’Îles découverts lors de mon passage dont je parlerai davantage prochainement :

  • Le souper « Entre terre et mer » de la cuisine gourmande du terroir de la Table des Roy ! Mets exquis et service irréprochable !
  • La randonnée pédestre avec une guide interprète de l’Auberge de la Salicorne sur Grande-Entrée et Grosse-Île
  • L’Atelier de taillage et de polissage de la pierre au Limaçon
  • Déguster une Terre Ferme (la meilleure IPA au monde, j’en ai jamais à ce jour découverte de mieux !) à l’Abri de la Tempête…

Merci à Québec Maritime, Tourisme Québec et Tourisme Îles-de-la-Madeleine d’avoir embarqué dans ce projet de roadtrip au travers du Québec Maritime. Vous pouvez dès lors nous lire sur le site de Québec Maritime.

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Un commentaire pour Le bruissement du sel

  1. Elzéar Belzile dit :

    Je ne suis donc pas seul à ramener des cailloux. 🙂 J’aime bien votre mélange de voyage, de vécu personnel et de poésie. Très imagé. Ne reste plus qu’à vous souhaiter de plus longues nuits…

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