Foulées réflexives : écriture, voyage et maternité.

Pluralité de courriels qui me ramènent à mes silences et mes absences. J’aime ta plume, c’est une belle source d’invitation à la poésie et la rêverie, ça serait dommage qu’elle se tarisse… – Touchée, suis-je …merci.

Quand donc vas-tu retourner à l’écrit ?

Retourner à l’écrit ? Mais je ne l’ai jamais quitté ! Il est là, partout, dans les notes et courriels que je m’envoie à moi-même, griffonné sur le dos de factures, d’enveloppes, de bouts de cartes d’affaires. Dans des cahiers, épars sur ma table de travail, et dans trop de documents Word que je me plais parfois à mettre dans un fichier nommé « Épaves » lorsque le fouillis se fait trop intense et que je me dois de classer. Des bouts d’écrit comme des bouts de moi, bouts d’un vieux roman qui datait et que j’essaie de peaufiner et rendre plus cohérent, à temps perdu et bien discrètement ; encore faut-il le créer ce temps lorsqu’on se surprend à écouter cette envie qui se fait foisonnante, parfois criarde à force de l’avoir négligée, tandis qu’une autre voix en sourdine –vous savez, cette voix du doute et de la peur qui fait mourir n’importe quel projet ?, ainsi, tandis que cette voix nous chuchote avec un brin de malice qu’on devrait faire de l’alimentaire. De l’alimentaire…

Pas pour nourrir l’âme, évidemment que non. De l’alimentaire, c’est ce qui sert à calmer l’angoisse la nuit venue, qui pose un baume sur les insomnies lorsque ça fait trop longtemps qu’on fait du surplace et qu’on devient en somme automate. L’alimentaire, c’est ce qui me permet de payer un loyer, évidemment trop cher le loyer, la garderie de ma fille, remplir le frigo, de l’alimentaire, du vrai qu’on ingurgite et se met dans le ventre sans prendre le temps de déguster. Du carburant en somme pour faire rouler la routine. De payer le minimum sur une carte de crédit et d’un tant soit peu me permettre de m’octroyer quelques plaisirs. De l’alimentaire. Qui ne m’aidera en rien et sera insuffisant si ma fille tombe malade, si j’ai un accident de voiture, si je me fais voler ma caméra ou encore mon portable…

Si. Si. Si.

On devient malheureux, me semble-t-il, à vivre entre deux « et si » …

*

À l’esprit, cet essai de Nancy Huston, Désirs et réalités, où elle titrait avec justesse un chapitre traitant de cette dichotomie relative au travail créatif et au rôle de maman : « Le dilemme de la romamancière ». Écriture et maternité sont antinomiques et difficilement conciliables, ça frôle l’évidence. Il suffit de penser à Woolf et à son essai une Chambre à soi*, à cette intimité d’avec soi-même qui disparaît lorsqu’on cohabite et derechef lorsqu’on enfante. Ou au récent essai Les tranchées, chapeauté par la talentueuse Fanny Britt, qui démontre bien ce sentiment coupable qui parcourt la mère contemporaine en quête d’épanouissement. Entre la superwoman autonome avec une carrière, la femme qui souhaite s’épanouir bien simplement, l’artiste qui ressent le besoin de créer et ce sentiment d’être incompétente propre à toute mère qui n’offre pas à son enfant l’anniversaire avec LE gâteau, LE clown, L’activité pour les amis, etc., la pression me semble immense. D’autant plus qu’avec cette douceur printanière qui se pointe le bout du nez à Montréal, scindant soudain l’hiver en deux, et ma valise à roulettes qui s’empoussière dans un coin de ma chambre, je réalise que j’arrive bien difficilement à changer, ici lire à me conformer.

Car l’envie d’ailleurs est toujours là et elle culmine…

Négligerais-je mes autres besoins alimentaires ?

Ma nature aventurière se trouve donc elle aussi en proie à ce profond paradoxe, entre désirs et réalités. D’un côté, l’envie d’expérience, d’ailleurs, de découvrir. D’espaces. Boulimique, je lis et me projette dans mille et un ailleurs. Ce ne sont pas les projets de destinations qui manquent. De l’autre, la fatigue et la pression de ceux qui m’aiment, mais veulent avant tout se sécuriser eux-mêmes. Autour de moi donc, de la pression pour m’ancrer et la réalité d’un enfant qui avait besoin d’un peu plus de stabilité, et qui pourtant je sens toujours profondément prête à me suivre dans n’importe quelle aventure. Folle envie de Vietnam aussi.

Après quatre années de monoparentalité (ouf…je savoure quelques instants un sentiment furtif de fierté qui me traverse), le besoin de faire le plein d’autres se fait ressentir. Apprivoiser l’autre et sa route, aussi. La solitude propre aux premières années d’apprentissage de la vie de parent en solo est tristement bien réelle et décuplée lorsqu’on se pose un brin. Encore faut-il le vivre pour le comprendre. Beaucoup de soirées à ne pouvoir sortir, énormément de contraintes, de défis à devoir relever seule qui fatiguent, peut-être davantage lorsqu’on est du genre à aimer repousser les limites. Alors, je déambule donc depuis quelques mois dans mon bain moussant et assouvi mes envies par des voyages littéraires. Me fais raquetteuse lorsque l’occasion s’y prête. Contemplative d’arbres nus et de rivières gelées. Reprendre des forces tranquillement.

Le romancier et le voyageur qui apprivoisent la maternité ont sans doute ceci en commun que pour respecter leur essence ils doivent apprendre à se faire violence… Et ça prend beaucoup d’énergie tout ça. Un entêtement tenace pour ne pas se heurter aux jugements faciles. Combien de « enfin, elle va se caser », « avoir une vie normale », « un boulot plus payant », « se faire responsable », « avoir des REER », « se mouler à la normalité» aie-je entendu depuis les derniers mois…

Hish … j’ai beau être bourrée de contradictions, avoir flirté avec le 9 à 5, les activités extérieures et culturelles « familiales » la fin de semaine, la bouteille de vin le samedi soir (dans mon cas dès le jeudi), chasser le naturel et il revient au galop. Mon tempérament profondément rêveur, artiste et aventurier ne disparaîtra pas parce que la réalité me contraint à me poser davantage… Alors, comment jongler avec tout ça ?

Il n’y a pas de juste moitié pour le voyageur tenace qui a en horreur le compromis… ni pour l’artiste. Être individualiste, sauvage, « libre », traçant sa route… À l’antipode même de la maternité. Voilà sans doute pourquoi j’ai toujours aimé voyager en solo, éviter le compromis. Je peux enfin me permettre d’être égoïste sur la route, m’octroyer ce rare plaisir de ne penser qu’à moi, de choisir et tracer mon itinéraire sans me sentir coupable, sans m’attacher et surtout sans regard. Me gaver de ce dont j’ai réellement envie… Depuis mon premier voyage en solo en Europe, j’ai compris qu’au travers de cette expérience, je m’octroyais enfin le droit de me permettre d’être entièrement moi ; j’y ai trouvé cet équilibre qui contrecarre avec une nature par moment trop altruiste, désireuse de se faire aimer et de plaire.

Tout comme dans l’activité créatrice, il n’y a pas d’attentes auxquelles on doit se soustraire sur la route. C’est bon. Très.

*

Ainsi, pseudo ancrée depuis quelques mois, en mode recul et recharge. Pendant ce temps, ma soif de mer n’est toutefois pas étanchée… Soif de déambulations citadines, de paysages neufs pour le regard non plus. De nouvelles odeurs à apprivoiser. De tambourinements du cœur inattendus par des rencontres impromptues.

Mais avant tout, terrible soif de mer.

Pour la tarir et me satisfaire, je me fais donc rêveuse écrivant. Avec mes mots, je la peins.

Je puise à gauche et à droite, du moins comme je peux, des moments solitaires et quelques bouffées d’air. Griffonne et peaufine donc loin d’ici un plus grand projet. Et deviens, à l’instar de bien d’autres, une mère ingrate qui a profondément besoin de penser à elle. Prendre soin d’elle pour mieux prendre soin de l’autre… en théorie, ça va de soi. En pratique, ça demeure le défi d’une vie.

J’ai partagé ma solitude avec un bébé durant les premières années. C’était de l’ordre de l’apprivoisement et de l’abnégation comme il en va de toutes formes d’amour, j’imagine. Ponctuant ces années de quelques escapades pour me sentir vivre intensément mais aussi, sans doute, pour me donner furtivement l’impression d’échapper à cette abnégation. Préserver la femme sauvage en somme. Mon impatience grandissante, ma soif de moi-même et de me retrouver dans ma « bulle » me font comprendre que cette solitude je ne la partage plus tout à fait avec ce petit bout de moi. Ce petit bout de moi est devenu une petite fille bien distincte qui prend beaucoup de place. Mais voilà, j’ai fais le choix d’apprendre depuis un moment les pas de danse d’une vie à deux et j’assume (et ce n’est pas toujours moi qui mène la danse, croyez-moi). Où la nature même du rôle de mère appelle bien souvent à l’oubli. La fillette grandissant, je ne peux qu’apprendre à tenir sa petite menotte par la main et me faire guide. Faire de même avec la petite fille qui m’habite aussi et la laisser jouer avec la couleur et les mots lorsque ses envies d’ailleurs culminent. Y consentir parfois aussi. J’imagine que c’est ça bifurquer tranquillement vers le monde des adultes : apprendre à doser entre désirs et possibilités.

J’apprends donc à jongler avec toutes ces contradictions propre à tout être humain ; me disant de plus en plus que malgré toutes leurs polarités, une voyageuse, une femme sauvage, une rêveuse écrivant et une maman c’est aussi par moment une seule et même personne. Une créatrice qui avance et tâtonne l’inconnu tout en se faisant funambule afin de tracer une route qui lui ressemble…

Quint Buchholz, Giacomond

Quint Buchholz, Giacomond

*Merci Sabrina Dumais d’avoir évoqué ce petit bijou de livre cette semaine … Tu m’as donné envie d’y retourner 😉

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8 commentaires pour Foulées réflexives : écriture, voyage et maternité.

  1. Valérie T. dit :

    C’est un plaisir de te lire. Les Tranchées était sur ma liste de Noël; j’ai eu un drôle le sentiment en lisant l’essai; les réflexions sur la maternité d’aujourd’hui (et le style qui me rappelait mes études littéraires que j’ai trop laissées de côté au courant des dernières années) me donnaient l’impression d’être en train de véritablement prendre du temps pour moi, parce que je parcourais un thème que personne d’autre chez moi ne pouvait «comprendre». Enfin, je prends en note tes autres références, je n’avais jamais pensé à chercher des œuvres traitant de maternité/romancier/voyageur, mais j’aime beaucoup l’idée!

    • Mawoui dit :

      Merci pour tes mots …
      Alors que j’y voyais depuis des années de l’opposition, je me rends compte de plus en plus qu’il y a aussi certaines similarités entre ces trois figures …
      Issue des études littéraires ? Alors, nous sommes deux 😉
      À bientôt !

  2. Sandra C. dit :

    que c’est beau ! que ça sonne juste , à mes oreilles, comme souvent d’ailleurs, tu exprimes quelque chose je crois d’assez universel dans la nature féminine, notre ambivalence…car oui devenir mère , c’est sacrifier un peu de cette liberté chérie, et assumer ce rôle sans appui au quotidien demande beaucoup d’énergie, je confirme depuis quelques mois , je vis cette expérience…mais je sais que ce besoin de création est vital, que nourrir l’âme, c’est préserver les ressources en nous qui nous permettent de relever les défis. Alors j’ai envie de te dire…fais ce qui est juste et bon pour toi, qui d’autre que toi peut savoir ce qui est bon pour toi ?
    Ce qui est compliqué c’est vrai c’est de faire face à la réalité matérielle et à nos désirs profonds…mais parfois les solutions arrivent, tant notre désir les attire…Une vie bien comme il faut, qu’est ce que c’est ? C’est une vie qui nous ressemble. Pas une vie qui fait plaisir aux autres.En clair, je t’envoie mes encouragements. Ecris. Ecris. Ecris. Fais ce qui te fais du bien !
    Appelle une destination avec ton coeur. Appelle des solutions et l’univers t’aidera à réaliser ce voyage. Je te souhaite de concrétiser ce désir d’évasion.
    Des bises

  3. tiphanya dit :

    Merci pour ces mots et cette poésie, sur certaines choses que je ressens, l’alimentaire et/ou le rêve, l’individualité et/ou la maternité.
    Bon courage dans tes projets et à ta santé pour assouvir ta soif de mots.

    • Mawoui dit :

      Grande dualité que tout cela ! Mais nous sommes des êtres bourrés de contradictions, les questionnements se font donc à nos images 😉
      Merci et au plaisir !

  4. Gabrielle R. dit :

    Ahhh le bain moussant, les livres et les expéditions en raquette…je reconnais là mes propres errances ! Le jour où j’ai appris l’existence d’une autre vie que la mienne dans mon ventre, j’ai su que les voyages en solitaire me manqueraient et qu’il me faudrait trouver une autre façon pour aller à la rencontre de l’inconnu. Je te le redis Mawoui, ton texte est fabuleux.

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