Quiétude, splendeurs et tonalités colorées de l’Ile Verte

Les prunelles tournées

vers l’enfance des pierres

au fond

dans l’épaisseur de sel

les phares

gemmes aux yeux riches

à brève parole

s’allument,

s’épuisent

Le Fleuve est dans les mots

Le silence luit

Yves Préfontaine

Voilà une semaine que je laisse décanter les 3700 kilomètres de route et d’air salin venu de ce grandiose fleuve qui éreintent d’une fatigue toujours si belle. Une semaine depuis notre retour de cette première partie à travers le Québec maritime. À démêler les notes écrites grossièrement dans les carnets, sur le téléphone et bouts de papier. J’ai trouvé si peu de temps pour écrire tandis que l’on écumait les routes et il y a tant de beautés et de rencontres qui cumulent dans ma tête. Tant de splendeurs et tant de richesses qu’offre ce Québec de bord de mer que je me plais à chaque fois de découvrir que je ne sais pas quoi commencer… Peut-être cet ultime coup de coeur, en quelque sorte inespéré ?

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Phare de l’Île Verte (c) Marie-Eve Blanchard

Je rêvais depuis longtemps de dormir auprès d’un phare. Rêve de gamine d’une autre époque peut-être… Ces phares qui se sont faits les yeux d’un fleuve durant des décennies, phares qui ont si souvent évité à des navires de frapper des écueils, phares et gardiens qui vivaient isolés et devaient par moment recueillir naufragés.

Et puis voilà, le doyen du fleuve Saint-Laurent, érigé entre 1806-1809, qui se dressait devant moi au beau milieu de rosiers sauvages !

Ça sentait bon. Et c’était beau.

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Phare, maisons des gardiens et rosiers sauvages.

J’ai découvert oui un phare, mais surtout une île. Une île hors du temps. Une île où l’artiste en moi s’est reconnue, où elle y puiserait aisément inspiration et quiétude. Moi qui souffre d’insomnie depuis des mois… Le sommeil profond est enfin venu me chercher dans mon lit cette nuit-là tandis que le feu de signalisation balayait doucement le fleuve.

J’étais littéralement tombée en amour avec les Îles-de-la-Madeleine… J’ai pleuré la première fois que je les aies quittées.  Mais l’île Verte, qui doit son nom à la mousse de mer que l’on trouvait sur ses côtes, est venu rapidement se loger une plage bien particulière dans mon coeur. Alors que j’ignorais tout d’elle, le seul fait de connaître maintenant son existence est devenu pour moi rassurant.

Un endroit où la beauté sauvage est protégée par les marées …

Et où les marées nous sécurisent et nous font réfléchir à leur façon…

Car les rapports humains doivent, eux aussi, être des îles. Il faut les aimer dans les limites du présent: des îles que la mer entoure et interrompt, que les marées baignent et abandonnent sans cesse. Il faut accepter cette forme de sécurité qui est celle de la vie ailée, celle du flux et du reflux, de l’intermittence.*

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Roukie contemplative sur les rochers

Ça sent l’eau douce et l’eau salée qui se rencontrent ainsi que les roses et iris sauvages qui abondent. Les rochers colorés, qui prennent tour à tour des tons de rose et d’orangé, invitent à la quiétude, la réflexion, les longues promenade, l’écriture. La seule route qui s’étend d’est en ouest au sud compte 13 km. Au nord, 9 kilomètres sauvages et inhabités de grèce entre le phare et la pointe ouest où phoques et baleines y sont régulièrement aperçus. Et seulement 2 kilomètres qui séparent ces deux littoraux.

Un véritable élan de bonheur et de joie.

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Splendides rochers et chaland au loin qui servait jadis à traverser… (c) Marie-Eve Blanchard

Iris sauvages

Iris sauvages

Il y a cette élégante tour qui domine l’île à son flanc nord, une tour blanche et rouge qui se détache de l’horizon. À peine quelques minutes et le paysage change, se teinte selon les humeurs et caprices de dame nature qui la découpe autrement.

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Coucher de soleil sur le fleuve (c) Marie-Eve Blanchard

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Le Criard, aujourd’hui petit musée, qui abritait autrefois l’équipement du criard de brume et les anciens canons à brume.

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Le Criard et le phare sous le soleil (c) Marie-Eve Blanchard

Seule île habitée à l’année du Bas-Saint-Laurent, une trentaine d’insulaires, vingt-huit précisément, y résident à l’année alors qu’une centaine tout au plus vient animer cette vie d’insulaire l’été. À cause des marées et du peu de traverses, il n’est pas possible de demeurer sur la côte et travailler sur l’île par exemple. Ou le contraire. Quelques familles se résignent et la quittent. D’autres persistent, y demeurent à l’année, bien qu’il ne s’y trouve plus d’école, ni poste d’essence, ni dépanneur.

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Il y a toujours ce dilemme qui nous habite lorsqu’on découvre ce genre de perle : on a envie de ne rien dire pour que la perle le demeure et qu’elle ne soit assiégée de touristes. Mais touristes, cyclistes, photographes et curieux sont aussi ceux qui contribuent à sa préservation, son économie de subsistance l’été, sa vitalité. Ce sont eux qui s’arrêtent chez Colette contempler ses anciens fumoirs et acheter coquilles Saint-Jacques et saumon fumé. Qui feront vivre l’été le motel restaurant Entre deux marées. Animeront le Café d’Alphé ou les chambres des maisons transformées en maisons d’hôte pour l’été. Ou viendront faire revivre le phare l’instant d’une visite guidée, d’un coucher de soleil ou d’un déjeuner.

À notre départ, la charmante Blandine, qui se fait gardienne de l’auberge du phare avec son conjoint Jocelyn, viendra embrasser Roukie « Tu me promets de revenir sur l’Île Verte manger les crêpes à Blandine? »

– Oui, a-t-elle acquiescé tenant d’une main son sceau de sable et de l’autre un bout de bois de mer trouvé sur la berge; bout de bois que nous rapporterons comme bien d’autres pour embellir notre petite maisonnée et lui donner par endroit le goût du sel.

Très tôt le matin, et profitant d’un rare moment de solitude, j’étais allée marcher doucement sur le bord de la grève, café à la main. Et j’y avais imaginé ma fille jouer longuement dans le sable et dans les rochers tandis que je lisais ou écrivais tranquillement en bord de mer, tout juste à côté du phare. Contemplative et heureuse d’avoir déniché cet endroit de bout du monde, à seulement quelques heures de Montréal, où insularité, quiétude et solitude nourrissante se confondent.

– Tu n’as jamais si bien dit ma fille, tu n’as jamais si bien dit…

Et, à nouveau, nous ferons voler des cerfs-volants.

IMG_6693 IMG_6703 IMG_6778* Cette phrase est tirée d’une magnifique petite plaquette d’Anne Lindbergh qui me suit partout depuis des années et que j’ai dû relire des centaines de fois, Solitude face à la mer


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– Pour dormir dans la maison du gardien du phare de l’Île Verte, contactez Blandine. 120$ en occupation double avec un petit déjeuner. Une navette peut aller chercher vos bagages à l’arrivée du traversier si besoin.

– N’oubliez pas de faire votre épicerie avant de traverser si vous comptez y séjourner longuement. Hormis la poissonnerie, il n’y a pas d’épicerie sur l’île. Vous pouvez utiliser la cuisine de la maison du gardien en après-midi et en soirée.

– Vérifiez l’horaire inégal des traversiers en fonction des marées. Il y a 2 à 3 traverses par jour, parfois très rapprochées ou parfois très éloignées durant la journée…

– L’Île Verte se vit et se palpe certainement davantage en prenant réellement le temps de s’y poser ou de la traverser lentement. Emportez votre vélo !

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Merci à Québec MaritimeTourisme Québec, Jocelyn et Blandine du Phare de l’Île Verte et la Société des traversiers du Québec. Bien qu’invitée, les opinions émises ici sont entièrement miennes

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3 commentaires pour Quiétude, splendeurs et tonalités colorées de l’Ile Verte

  1. Elzéar Belzile dit :

    Beau texte. J’aime bien vos citations. On espère que la quiétude est demeurée…et que l’insomnie s’en est allée…

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